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Le Brexit est la punition que la démocratie vient de s’infliger à elle-même. Il ne s’agit pas seulement du choix britannique de se retirer de l’Union européenne (UE) mais d’une remise en cause profonde du fonctionnement démocratique d’aujourd’hui. Celle-ci impose un constat, entraîne une critique et appelle un changement.

Le constat. L’écart entre l’opinion publique et ses « élites » est tel que le veille du référendum britannique sondages et analystes laissaient penser à une victoire du maintien dans l’UE. Au matin du 24 juin, non seulement la City mais dans toutes les capitales on ne parvenait pas à croire que les partisans de la sortie l’aient emporté. La stupeur le dispute encore aujourd’hui à l’accablement chez ceux qui n’imaginaient pas le peuple britannique opter pour une telle décision. Il faut donc se rendre à l’évidence : il est devenu très difficile de saisir l’état de l’opinion, et, au moins aussi important, sa rapide évolution. Comment appréhender ces deux éléments ? Comment rester au contact d’une opinion sinon versatile du moins sujette à des variations rapides eu égard à ses propres connexions ? Tweeter et Facebook ont raccourci l’horizon temporel de tout un chacun en le réduisant à quelques secondes ou à quelques heures. L’émotion l’emporte aujourd’hui sur la raison et engendre une volatilité croissante des opinions. Les préjugés dominent les analyses. Les raisonnements à l’emporte-pièce excluent la nuance.

La critique. En démocratie, le peuple (démos en grec) est souverain, il détient le pouvoir final et commande (kratein en grec). La plus grande erreur est de l’oublier ou de le négliger. Les démocraties dites « populaires » ne se préoccupaient nullement de lui, elles en sont mortes. Les démocraties occidentales, elles, ne cessent de s’en réclamer, mais elles ne le consultent que par intermittence ou par à-coups. Avant Internet et les réseaux sociaux, la pression citoyenne s’exerçait surtout à l’approche d’échéances électorales. Ce qui conduisit progressivement à croire que le vote représentait un acte politique majeur, voire le seul important. Il avait fini par devenir une espèce de garantie : n’a-t-on pas qualifié de « démocratique » l’élection d’un Ahmadinejad en Iran (2005), alors qu’aucune des conditions de la démocratie n’étaient réunies (opposition muselée, information censurée, presse interdite, femmes exclues, réunions politiques interdites, etc.) ? Comme si la démocratie se limitait au vote. C’est bien ce que l’Angleterre vient de nous rappeler. Certes, il s’agit d’un pays de dialogue et de consensus ; certes, des débats eurent lieu ; certes, le référendum pouvait se justifier, mais le sujet n’était pas purement britannique. Il touchait à l’UE. Ce qui vient d’être rejeté, ce n’est pas l’appartenance de la Grande-Bretagne à l’Europe – elle en est l’une des composantes depuis 2 000 ans, et qu’on fasse, elle le restera – mais le fonctionnement des institutions européennes.

Le changement. Dans son principe, il est facile à énoncer : il n’est plus possible d’engager quoi que ce soit sans l’appui de l’opinion publique. Franklin Roosevelt disait déjà dans les années 1940 qu’on ne gagnait pas une guerre sans elle. Mais s’appuyer sur l’opinion publique ne signifie pas la relayer purement et simplement. Une opinion, cela se travaille. Non pour la circonvenir, mais au nom d’un projet. Sur la base de données fiables, et vérifiables, non sur des préjugés ou des informations erronées. Un désaccord construit se rapproche rapidement d’un accord. Par exemple, la réforme complète des retraites en Suède au début des années 1990 exigea d’abord une consultation et un travail en profondeur de plusieurs années auprès de l’opinion, avant d’engager un changement de système sans a priori, mais démocratiquement négocié. Quand on donne aux citoyens les moyens de faire jouer leur intelligence, le populisme et les préjugés tendent vers zéro. Cela prend du temps, mais c’est la condition d’une démocratie citoyenne.

Autrement dit, en rester au constat ou à la critique du Brexit serait stérile. Le choix d’aujourd’hui est clair : ou bien laisser le populisme régner en maître, ou bien travailler avec l’opinion pour construire un monde meilleur. On l’a bien vu en France, où le déficit de dialogue entraîne trop souvent l’usage de l’article 49-3 de la Constitution, une sorte de 6,65 que place l’exécutif sur la tempe du législatif. Les sociétés d’aujourd’hui ne se gouvernent plus à la baguette. Les femmes et les hommes du XXIe siècle veulent, nous voulons participer à la conception du monde dans lequel nous allons vivre. D’où ces nouveaux adjectifs dont on fait suivre le mot démocratie : participative et directe.

En un mot, dans tous les pays démocratiques et au sein de l’UE, l’offre politique existante doit s’adapter si elle veut rencontrer vraiment les attentes de la demande politique. Si elle écarte la seconde pour s’imposer, cela s’appelle une dictature ; si elle s’y soumet, cela s’appelle du populisme. Si la demande contourne l’offre, cela s’appelle une révolution, ou un printemps, suivant l’espace géographique concerné ; si elle renonce, cela s’appelle de la servitude volontaire. Il reste une combinaison, gagnante : le rapprochement de l’offre et de la demande politique, par l’organisation continue de la délibération. Appliqué à l’UE, tout est à inventer pour combler le précipice entre les citoyens et les institutions européennes. C’est cela que le vote britannique pose sur la table. C’est à cela que l’Union européenne doit s’atteler, avec un nouveau grand dessein.

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